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Pourquoi la programmation architecturale et faut-il la rendre obligatoire ?

Quelles sont les coûts sur un an en France des mauvaises conceptions, des mauvaises anticipations des besoins, de mauvais montages d’opération ? Des erreurs en tout genre ou des « aléas » qui auraient pu être évités grâce à une démarche de programmation architecturale en amont ? Cela me semble bien difficile à dire.

Et pourtant, ces coûts sont certainement très conséquents.

Des locaux sous-dimensionnés ou surdimensionnés qui nécessiteront ensuite des modifications. Certains inutilisables car les usages ont été mal compris ou mal anticipés par les concepteurs et qui donc ne correspondent pas aux besoins, à une norme sanitaire ou encore à un besoin de confidentialité. Des mutualisations possibles de surfaces qui n’ont pas été identifiées. Des opérations qui prennent du retard faute d’avoir anticipé l’intervention d’un prestataire. Des prestations qui se superposent et donc sources de doubles coûts, et inversement des trous qui font que tel ou tel sujet pourtant important ne sera pas traité. Des consultations de maîtrise d’œuvre annulées car lancées en procédure adaptée alors qu’une estimation plus raisonnable des coûts d’investissement aurait permis de voir qu’un concours était obligatoire. Ou encore, des concours avortés ou rendus inutiles tellement les réponses sont disparates, faute de programme suffisamment précis.

Tout professionnel de la maîtrise d’ouvrage saurait multiplier les items et citer des exemples par dizaines. Or, si on admet la définition du rôle du programmiste de Gérard Pinot selon laquelle « C’est l’outil de définition du projet, des acteurs et des actions qu’ils doivent entreprendre au-delà de l’action de construire et d’aménager », c’est bien au programmiste de faire en sorte que tous ces problèmes n’adviennent pas.

Alors si l’intérêt de faire appel à un programmiste en amont des études de conception est si important, pourquoi n’est-ce pas systématique, et pourquoi n’est-ce tout simplement pas obligatoire ?

Je vois principalement 3 raisons à cela :

  • La première est que la démarche de programmation n’est pas encore suffisamment connue, auprès des maîtres d’ouvrages publics comme privés. Nous devons donc faire œuvre de pédagogie, voire de lobbying, pour qu’elle passe moins inaperçue et que tout maître d’ouvrage ne pense pas tout simplement à prendre un architecte qui va tout lui faire et tout lui dire, alors que là n’est pas du tout sa spécialité, et que donc la démarche de programmation ne passe pas totalement à l’as.
  • La seconde est que les programmistes ne sont pas tout blanc non plus. Combien de fois voyons-nous des programmes faits à 90% de copié-collé sans réflexion en profondeur et donc sans réelle valeur ajoutée ? Ce n’est bien sûr pas parce que des médecins font mal leur travail qu’on refuse d’être soigné quand on a la grippe, mais il est bien évident que cela n’aide pas.
  • Enfin, les architectes devraient, car c’est leur intérêt aussi, refuser de travailler sur des projets sans qu’il ait été fait appel à un programmiste en amont. Pourquoi ? Tout simplement pour éviter les écueils cités précédemment. Les architectes ne peuvent pas dessiner sans programme, ne savent que trop peu dans quelles directions aller. Sans démarche de programmation préalable, ils vont devoir recommencer plusieurs fois des dessins qu’ils n’auraient pu ne faire qu’une seule fois. Et on ne parle pas encore du temps perdu faute d’estimation suffisante avant de contracter des prestataires aux missions bien cadrées. Donc si les architectes veulent sauvegarder leurs honoraires, un bon moyen pour eux serait déjà d’imposer la présence d’un programmiste. La pédagogie des programmistes doit donc aussi aller en direction des architectes, c’est l’intérêt de tous.

Dans ce cas, pourquoi n’est-ce pas obligatoire ?

En fait cette question n’est pas totalement fondée, car certains financeurs (j’ai récemment eu à faire à une DRAC sur ce sujet) l’imposent déjà pour certains projets. Dans le cas que j’évoquais, il s’agissait d’importants équipements culturels, pour lesquels le maître d’ouvrage avait, disons-le clairement, mis la charrue avant les bœufs. La DRAC lui ayant demandé de faire appel à un programmiste au préalable à toute demande de financement, c’est ce qui a été fait et finalement le maître d’ouvrage est très loin de le regretter.

Mais bon, à part ce genre d’occasion très minoritaire, c’est un fait, la démarche de programmation architecturale est loin d’être obligatoire.

Il est vrai que la loi MOP en son temps et le Code de la Commande Publique depuis cette année, bien que faisant référence au « programme » dans ses tous premiers articles dédiés à la maîtrise d’œuvre, n’explique pas ou très peu ce que c’est. Et il n’est nullement dit qu’y avoir recours est indispensable. Dès lors, cela est perçu comme optionnel. Et puisqu’il ne semble pas y avoir de formalisme particulier, il peut paraître assez aisé de s’improviser « rédacteur de programme ».

De plus, même si le corollaire obligation ó norme n’est pas sans faille, il est assez logique de penser que le recours à un programmiste ne saurait être obligatoire si, en échange, celui-ci n’est pas soumis à un minimum d’obligations, comme c’est le cas pour les agents immobiliers, les notaires, etc. Un prochain article sera dédié à la question de la normalisation de la démarche de programmation architecturale, mais comme ce n’est pas l’objet ici, contentons-nous de simplement constater que nulle part, quelque document officiel que ce soit vient expliquer ce qu’est un « programme », un « préprogramme » ou un « programme technique détaillé ».

Alors faut-il rendre le recours au programmiste obligatoire, à partir d’une certaine taille d’équipement, ou d’un certain montant de travaux ?

Nous partirons d’un constat : La réglementation comme la pratique actuelle tend à la plus grande frugalité des bâtiments. Mais dans ce cas, comment ne pas paraître schizophrène en insistant sur ce que consomme le moindre mètre carré de bâtiment (en énergie, en coût carbone, etc.) tout en se privant d’une réflexion éclairée et en profondeur sur la limitation des surfaces ? Car si le recours au programmiste permet d’économiser 10% de surfaces (sous forme de mutualisation, de modularité, etc.), c’est tout à fait logiquement que le bâtiment consommera 10% de moins ! Et si les possibilités de reconversion ont bien été anticipées, les travaux d’adaptation seront tout à la fois moins coûteux, tant en Euros qu’en carbone !

De ce fait, quand le coût d’investissement est toujours un frein à la décision de construction d’un bâtiment, et que tout maître d’ouvrage public va systématiquement à la « pèche aux subventions » (et souvent, il en obtient), pourquoi serait-ce sans condition de recherche d’économie, de modularité, ou plus généralement de frugalité à la conception et au fonctionnement ? Comme dit l’adage, « Aides-toi et le Ciel t’aidera ! »

Compte tenu de tout cela, je pense que oui, la démarche de programmation architecturale devrait être rendue obligatoire dans le cadre de tout financement public d’opérations de bâtiment, en neuf ou en réhabilitation. Mais cela ne serait probablement pas sans exigence en retour : une simple qualification OPBIBI / OPQTECC ? Plus que ça ? Et peut-être une norme AFNOR en supplément ? Un débat entre programmistes et pouvoirs publics serait sans doute profitable.